Le boulanger et le corbeau

 

Le boulanger et le corbeau

 

Ecrit par Wideline Maeusli

 

Sam a 19 ans. Il vit avec sa grand-mère, son père et ses deux sœurs. Sa mère est décédée lorsqu’il avait 8 ans. Il a été élevé, principalement, par sa grand-mère.

Tous les cinq vivent au-dessus de la boulangerie du village. Cette boulangerie appartient à sa famille depuis plusieurs générations. Selon la coutume, elle est transmise de père en fils, lorsque le fils atteint ses 20 ans.

Depuis l’âge de ses 10 ans, Sam apprend le métier de boulanger avec son père. Dans 3 mois, il fêtera ses 20 ans. Il deviendra le nouveau boulanger du village. Pour son père, c’est une grande fierté d’avoir eu un fils et d’avoir pu perpétuer cette tradition familiale.

 

Sam se sent rassuré et important. Son père, sa grand-mère, ses sœurs et même tout le reste du village ne parlent que de cela. Tous semblent se réjouir pour lui.

Chaque fin d’après-midi, Sam a l’habitude d’aller se balader en haut des collines, derrière son village. De là-haut, il voit tout. Sa boulangerie, l’église, l’école et même les villages alentours.

Une question revient régulièrement dans sa tête. Comment est le monde au-delà de sa région ? Il est né au-dessus de la boulangerie. Il a grandi et est allé à l’école dans ce village. Il est tombé amoureux d’une jeune fille d’un des villages voisins. Il connait les gens, les maisons, les chemins, les forêts de la région comme sa poche.

Mais il n’a jamais eu l’occasion de voyager. Par manque de moyens et également parce que son père n’en a jamais vu la nécessité. Lorsque Sam évoquait la question, son père répétait à chaque fois : « Sam, où veux-tu aller ? Dans la vie, le plus important, c'est la famille. Et ta famille habite ici ! Ici, tu as tout ! Tu as un travail et des gens qui tiennent à toi. Que veux-tu de plus? »

 

Sam comprenait le point de vue de son père. Il se disait que c’est la voix de la raison. Son père est plus âgé que lui, donc il doit savoir de quoi il parle !

Mais malgré le point de vue de sa famille, Sam ressentait comme un vide intérieur. Quelque chose prenait de l’ampleur en lui. Ce quelque chose était plus grand et plus fort que lui. C’était également plus impactant que les paroles raisonnées de son père. Cette chose demandait à être comblée. Il se sentait appelé. Appelé à quoi ? Il n’en avait pas la moindre idée. Mais ce sentiment l’attirait au-delà de ce village, qu’il connaissait déjà par cœur.

Cet après-midi-là, au sommet d’une des collines, assis contre un arbre, il somnolait. 

Soudain, un corbeau le fit sursauter. L’oiseau était perché sur une des branches de l’arbre. Il croassait bruyamment. Sam se leva afin de mieux voir l’oiseau. À sa grande surprise, le corbeau ne semblait pas apeuré par ses mouvements. 

Le garçon regardait le corbeau dans les yeux. L’un et l’autre se fixaient. L’oiseau continuait à croasser.

Curieusement, plus Sam plongeait dans le regard du corbeau, plus il comprenait son langage… Et une conversation débuta entre eux.

- Qui es-tu ? demanda Sam.

- Je suis ce que tu veux que je sois. Répondit l’oiseau.

- Sam, il est temps pour toi de partir ! Tu dois quitter ton village et ta famille et commencer ton chemin. Continua le corbeau.

- Pardon ? Quel chemin ? Pourquoi je dois partir ? demanda le garçon d’un air inquiet.

- Depuis quelque temps, le monde t’appelle, n’est-ce pas ? Tu dois suivre ce sentiment, tu n’es pas destiné à être un boulanger. Répondit l’oiseau.

- Quoi ? Que dis-tu ? Qu’est-ce que tu en sais ? Tu n’es qu’un oiseau ! Je suis l’unique fils de mon père ! Je serais boulanger comme lui, comme mon grand-père et comme tous les hommes de ma famille ! Et quand j’aurai repris la boulangerie, je me marierai ! S’exclama le jeune homme.

- Non, Sam. Dit calmement le corbeau. Vois-tu, il y a les lois des hommes et il y a les lois de la vie. Et tu as toujours été la vie avant d’être un homme. Ne l’oublie jamais. Croassa une dernière fois l’oiseau avant de s’envoler.

 

Encore tout étourdi, Sam retourna chez lui. Il ne savait pas encore comment, ni ce qu’il allait dire à sa famille, mais...demain, il partira.