La FIN

 




LA FIN

Par Wideline Maeusli

 

Sandy se sent faible. Depuis quelques jours, elle peine à trouver l’envie de se lever et d’effectuer ses activités quotidiennes. Elle n’est pas fatiguée, elle est épuisée. Elle est épuisée d’une vie trop longue et trop difficile. Elle fait encore l’effort d’aller régulièrement se balader au bord de la rivière. Mais son pas est lent. Sans vraiment en être consciente, elle s’arrête souvent au milieu du chemin. Le regard fixant le ciel ou l’eau de la rivière. Elle est perdue dans ses pensées. Elle repense au passé. Elle se questionne sur le pourquoi de certains événements. Pourquoi sa vie a-t-elle été aussi difficile ? Qu’a-t-elle fait comme erreur ou que n’a-t-elle pas fait ? Pourquoi elle n’a jamais pu bénéficier des mêmes chances que ses copains et copines de son époque ?

 

En cette fin de soirée, Sandy se sent particulièrement lourde émotionnellement. Cette tristesse latente, qui l’habite depuis quelque temps, semble enfin vouloir s’extérioriser. Aura-t-elle la chance de ressentir quelques larmes couler sur ses joues ? Cela fait tellement longtemps qu’elle n’a pas pleuré ! Aussi loin qu’elle se le rappelle, Sandy encaisse les chocs de l’existence avec courage et bravoure. Persuadée que, un jour, son ciel s’éclaircira. Elle qui aime tant la vie ! Elle qui s’émerveille à la vue d’une fleur, d’un oiseau ou même de quelques gouttes de pluie. Elle qui a la foi. Une foi inébranlable en l’existence et en tout ce qu’elle contient.

Mais quand est-ce qu’on lui a donné ? Elle qui respecte et chérit cette vie ? Qu’a-t-elle reçu pour son dévouement ? 

Sandy s’installe à son bureau, devant une feuille blanche. Sa plume à la main, elle se met à écrire. Au fond d’elle, elle sait que c’est le moment :

 

« Ma chère nièce !

Ce soir, la tristesse est venue à ma rencontre. Elle avait une question qui m’était personnellement destinée: « Pourquoi ? ».

J’ai eu l’impression qu’elle voulait savoir pourquoi j’ai accepté d’endurer cette vie de souffrance. Pourquoi je ne me suis pas révoltée? Pourquoi je n’ai pas été égoïste comme beaucoup l’ont fait ? Pourquoi je suis restée seule à attendre dans le noir ?


Voici ma réponse :

A chaque étape de ma vie, j’aurais pu choisir la jouissance. A la place, j’ai préféré affronter mes souffrances. J’ai moins rigolé que d’autres, mais en contrepartie, j’ai appris à me connaître et à dompter mes peurs.

Pour chacun de mes choix, j’aurais pu rechercher uniquement mon propre bénéfice. A la place, j’ai préféré le partage. J’ai moins profité que d’autres, mais en contrepartie, j’ai appris à me reconnaître et à respecter mes semblables. Peu importe qu’ils me respectent en retour ou non.

 

Tout au long de ma vie, j’ai sincèrement aimé trois hommes. Mais je ne me suis jamais mariée. Aucun d’eux ne m’a aimée autant que je les ai aimés. Tous ont vu en moi une fille avec qui jouer. Ils ont échangé des regards insistants, des baisers et des mots tendres avec moi. Mais aucun d’eux ne m’a suffisamment respectée et aimée pour faire de moi l’élue de leurs cœurs. J’ai toujours été le second choix. Celle qui nous amuse pendant qu’on cherche mieux! Celle qu’on juge et dont on se moque, car on estime qu’elle n’a pas ce qu’il faut pour être digne d’être l’épouse. Chacun de ses hommes, je les ai attendus durant des mois, parfois des années. Persuadée que l’amour que je ressentais pour eux était réciproque et qu’il fallait juste leur laisser du temps afin qu’ils puissent s’en rendre compte. Et le temps passait. Je les observais construire leur vie pendant que la mienne était à l’arrêt.


Aujourd’hui, lorsque je regarde en arrière, je suis consciente de celle que j’ai été. Du regard qu’on a pu porter sur moi et sans doute du ridicule de certaines de mes convictions. Mais je ne regrette rien.


Je ne regrette pas toutes ces fois où j’ai préféré le partage et que quelqu’un y a vu une occasion de profiter. Oui, j’ai été triste, mais profiter de quelqu’un m’aurait été insupportable.


Je ne regrette pas les fois où j’ai préféré la gentillesse à la haine et que quelqu’un y a vu de la faiblesse et n’a plus estimé nécessaire de me respecter. Oui, j’ai été triste, mais la haine m’aurait été insupportable.


Je ne regrette pas d’avoir aimé si fort, sans l’être en retour. Oui, j’ai été triste, mais faire semblant d’aimer, comme on l’a fait avec moi, m’aurait été insupportable.


Je ne regrette pas d’avoir préféré la vérité et l’honnêteté alors qu’à de nombreuses reprises les mensonges m’auraient sauvée et m’auraient rendue plus populaires. Oui, j’ai été triste, mais manipuler la réalité au détriment de quelqu’un, m’aurait été insupportable.

 

Ma chère nièce, à la lecture de cette lettre, tu devines certainement les raisons qui ont poussé la tristesse à me rendre visite. Mais je t’en prie ! Ne tombe pas dans le piège des évidences !


Certes, je n’ai pas vécu la grande vie ! Je n’ai pas suivi le chemin dont tout le monde rêve ! Je suis tombée, je me suis relevée. Je me suis fait mal, je m’en suis remise. Je suis retombée encore et encore, plus fort et plus douloureusement. Je me suis relevée plus difficilement! Mais j’ai quand même réussi à me remettre debout, une fois de plus.


Je suis en train de partir. Je pleure comme j’aurais aimé le faire à chaque fois que la tristesse s’est présentée à moi. Mais mes larmes n’appartiennent pas à la tristesse. Elles sont le fruit de la joie. En écrivant ses quelques lignes, ma lourdeur s’est envolée, je me sens légère, je me sens bien, je me sens… libre.

Je prends conscience que cet apaisement, en moi, est ma récompense. Ma récompense pour avoir tenu bon, dans la souffrance. Pour avoir dit, été et fait ce qui me semblait juste, même dans l’adversité. 


Je n’ai pas construit ma vie… Je l’ai INTENSEMENT vécue !

 

                                                                                   Affectueusement, Sandy. »

 


Le lendemain, comme chaque dimanche, sa nièce vient prendre de ses nouvelles. Elle frappe à la porte, pas de réponse. Elle entre. Dans la maison, il règne un silence effrayant.


Dans la chambre, Sandy est étendue sur son lit. Ses yeux sont ouverts et sans vie. Ses traits sont détendus. Et sur ses lèvres, on pourrait presque y deviner… un sourire. 

Commentaires

Articles les plus consultés